
Marius Gilbert est chercheur en épidémiologie à l'Université Libre de Bruxelles. Photo : ©Olivier Polet (http://photographe-polet.com/)
Des entretiens réalisés tout au long de la crise sanitaire liée au coronavirus, avec Marius Gilbert, épidémiologiste à l'Université libre de Bruxelles.
Ces conversations commencèrent à la fin février 2020. Un petit entretien somme toute assez banal intitulé "Il faut être vigilant sans céder à la panique". Vous le trouverez intégralement reproduit un peu plus bas sur cette page. Déjà à ce moment, alors que certains parlaient de grippe, Marius Gilbert tenait un discours non pas alarmiste mais prudent, appelant à ne pas banaliser la propagation du coronavirus en Europe : "Il importe d'envisager le scénario d'une épidémie de grande ampleur", expliquait-il, tandis que la Belgique était encore à cent lieues d'imaginer qu'elle pourrait entrer dans une époque de confinement.
D'emblée, j'ai eu le sentiment d'avoir échangé avec un scientifique désirant vulgariser son savoir dans le souci de l'intérêt général. J'ai donc proposé à Marius Gilbert que nous conversions chaque semaine pour essayer d'aborder en profondeur les différents enjeux de la crise sanitaire sans langue de bois et commenter l'évolution de la pandémie. En mars 2020, débutait donc un travail d'entretien approfondi. Je vous recommande la lecture de ces conversations qui, à mon sens, donnent un certain nombre de clés pour mieux comprendre la crise sanitaire que nous traversons collectivement. Ces textes sont accès libre ici :
1. "Il faut être très vigilant sans céder à la panique" (27 février 2020)
(Voir plus bas pour ce premier texte; pour les textes suivants, il suffit de cliquer sur le titre pour être renvoyé vers le site de Paris Match Belgique où ces entretiens sont en accès libre)
2. "Une longue cohabitation avec le Covid-19 doit être envisagée" (19 mars 2020)
3. "L'impact du confinement? C'est le moment de vérité" (23 mars 2020)
4. "A-t-on minimisé des risques prévisibles? Les réponses nuancées de Marius Gilbert" (2 avril 2020)
5. "Un déconfinement le 19 avril? C'est trop tôt" (9 avril 2020)
6. "Il va falloir inventer une autre manière de vivre" (16 avril 2020)
7. "On n'en sortira pas sans renoncements" (23 avril 2020)
8. " Déconfiner, cela se conjugue au conditionnel " (30 avril 2020)
9. " On aurait pu déconfiner plus prudemment" (9 mai 2020)
10. Ce passage à la phase 2 me met mal à l'aise (16 mai 2020)
11. " Les scientifiques parlent trop peu de leurs incertitudes » (22 mai 2020)
12. "Il faut repenser les outles de contrôle de l'épidémie (4 juin 2020)
13. L’épidémiologiste Marius Gilbert répond aux « coronasceptiques » (19 septembre 2020)
14. Marius Gilbert quitte le Celeval : Il explique sa décision (23 septembre 2020)
15. « C’était devenu compliqué de faire entendre que rien n’était terminé » (17 octobre 2020)
16. "On a trop opposé les enjeux sanitaires et économiques" (28 octobre 2020)
17. « Nous entamons une course contre la montre face au variant britannique » (16 janvier 2021)
18. "On peut se demander pourquoi la culture passe toujours en dernier" (20 février 2021)
19. "L'été prochain, on ne pourra pas tout relâcher" (27 mars 2021)
20. Le variant Delta nous réserve-t-il une mauvaise surprise? (12 juin 2021)
21. Vaccination obligatoire : l'avis circonspect de Marius Gilbert (24 janvier 2022)
1. "Il faut être très vigilant sans céder à la panique"
Un entretien réalisé le 24 février 2020, publié le 27 février 2020 par l'hebdomadaire Paris Match Belgique.
L’inflation du nombre de personnes contaminées en Italie crée de l’appréhension en Belgique. Cette inquiétude est-elle justifiée ?
Marius Gilbert. Cela doit nous rendre vigilant, mais il serait très contreproductif de céder à la panique. Les Italiens ont mis en place des mesures de précaution dans les régions les plus touchées pour laisser le temps aux autorités sanitaires de faire le suivi des patients. En limitant les déplacements des personnes et en évitant les grands rassemblements dans les lieux publics, les Italiens font ce qu’il convient pour geler la propagation du virus. Cette stratégie vise à donner du temps aux autorités sanitaires pour identifier les cas et interrompre les chaînes de transmission en isolant les personnes contaminantes. Les autorités de Singapour ont agi de même à la mi-février, lorsqu’elles ont été confrontées à une inquiétante augmentation du nombre des cas. Force est de constater qu’elles ont réussi à stabiliser la situation : il y a trois ou quatre cas par jour, mais on ne constate pas la grave phase épidémique qu’on avait redoutée. Il n’est donc pas du tout exclu que l’Italie arrive à passer au-dessus de cette vague de contaminations grâce à un bon suivi et à différentes mesures pour limiter les contacts entre les personnes dans les régions touchées.
On est donc loin d’une situation incontrôlée ?
A ce stade, rien ne le laisse penser. Mais maintenant, et c’est pour cela que je parle de vigilance, on ne peut pas non plus parler d’une situation ne présentant aucune incertitude.
Vous voulez parler de ce fameux « patient zéro » que les Italiens ne parviennent pas à trouver ?
Les médias se focalisent beaucoup là-dessus, mais ce n’est pas vraiment surprenant qu’on ne le retrouve pas. Cela revient à chercher une aiguille dans une botte de foin. Si je vous demandais de me faire la liste de toutes les personnes avec lesquelles vous avez été en contact durant les dix derniers jours, vous auriez bien du mal à me répondre. Quand je parle d’incertitude, je pense à la problématique des patients présentant des infections bénignes. Des gens qui sont actuellement en train de vivre tout à fait normalement en Italie ou ailleurs, sans se rendre compte qu’elles sont contaminantes. On ne sait pas très bien quelle est la part de ces patients quasi asymptomatiques dans la transmission du virus.
« En moyenne, chaque personne infectée contamine deux autres individus »
Qu’entendez-vous par infection bénigne ?
Je parle ici d’un nombre relativement important de personnes qui, bien qu’elles soient atteintes par le virus, ne développent que des symptômes légers qui ne les empêchent pas de vaquer à leurs occupations habituelles : légère fièvre, mal de gorge… En Belgique, on a une expression pour cela : « se sentir un peu patraque ». En un sens, c’est évidemment une bonne nouvelle que des tas de gens résistent ainsi au virus mais, d’un autre côté, on s’interroge encore sur la charge infectieuse de ceux-là : à quel point sont-ils contaminants ? On a ainsi des cas documentés de personnes qui en ont contaminé beaucoup d’autres. A Singapour, par exemple, un conférencier a été un vecteur important de la maladie.
Toute personne infectée est-elle une bombe virale ?
Heureusement non. Certains individus sont beaucoup moins contaminants que d’autres. Cette variabilité ressort de données chinoises qui font l’objet d’un consensus assez large au sein de la communauté scientifique. Elles nous indiquent que le taux de reproduction net de la maladie est de deux, ce qui veut dire qu’en moyenne, chaque personne infectée contamine deux autres personnes. Cependant, on arrive à cette moyenne de deux alors que certaines malades contaminent dix ou quinze autres individus. Autrement dit, certains patients se sont avérés peu ou pas contagieux. La variabilité de l’infectiosité des malades avait
déjà été observée lors de l’épidémie de SRAS, en 2003.
« Entre 0,1 % et 1 % de personnes touchées par le coronavirus en meurent. C’est plus que pour la grippe »
Variabilité dans la transmission, mais aussi dans la résistance au virus ?
De fait, le groupe le plus important est constitué des personnes dont le système immunitaire l’emporte, ce qui leur permet d’éliminer toute charge virale en quelque deux semaines. Mais environ 20 % des patients développent des symptômes de type « pneumonie », qui nécessiteront des traitements adéquats lors d’une hospitalisation. Dans ce second groupe, constitué de personnes souvent âgées qui se sont rendues à l’hôpital, on estime la mortalité à 1 % ou 2 %.
D’une manière plus globale, quel est le taux de mortalité des personnes infectées ?
Selon les estimations, entre 0,1 % et 1 % de personnes touchées par le coronavirus en meurent. C’est plus que pour la grippe. Maintenant, la communication de ces chiffres appelle des nuances : encore une fois, le taux de mortalité fluctue très fort selon les différentes classes d’âge. Le coronavirus, tout comme le virus de la grippe, est surtout meurtrier pour les personnes plus âgées. Les personnes diabétiques, les fumeurs aussi, sont plus à risques.
Beaucoup de personnes vont et viennent d’Italie. Cela veut-il dire que le virus va inévitablement se répandre en Belgique ?
Tous les pays prudents doivent se préparer à l’arrivée de personnes contaminées sur leur territoire. Mais avec l’Italie, on comprend évidemment que cela élargit les possibilités de « transport » pour le virus en Europe. Il n’y a pas que l’avion, il y a aussi le train, la voiture… Cela dit, ce qui se passe en Italie n’est pas encore de l’ordre de la catastrophe et, à ce stade, des mesures préventives du type interdiction d’événements publics ne se justifient pas encore en Belgique. De même, on ne va pas contrôler toute personne venant d’Italie, faire des barrages routiers ou des choses de ce genre. Comme l’ont démontré des modélisations, on ne détecterait que 30 % à 40 % des cas. Surtout, ce serait contre-productif dans la mesure où une telle politique alimenterait une forme de psychose collective, un climat de peur. Par contre, chacun peut déjà prendre des mesures individuelles toutes simples, comme se laver les mains plusieurs fois par jour. C’est d’ailleurs aussi un excellent moyen pour se protéger de la grippe saisonnière.
« Il importe aussi d’envisager le scénario d’une épidémie de grande ampleur »
D’un scientifique à l’autre, les tonalités du discours peuvent être bien différentes…
C’est vrai que certains se veulent par trop rassurants et que d’autres semblent considérer que la présence d’une certaine dose de peur dans la population peut contribuer à la vigilance collective. En ce qui me concerne, je suis partagé. Je n’ai pas envie de crier au loup mais, en même temps, je n’ai pas envie de dire « Dormez, braves gens ».
Dès lors, la vigilance minimale pour la Belgique, vous la définiriez comment ?
Cela commence par une bonne information au niveau du grand public et des médecins sur ce qu’est le coronavirus, ses symptômes, la réaction à adopter en cas d’apparition de ceux-ci. C’est d’ailleurs ce qui est fait actuellement (NDLR : voir le site www.info-coronavirus.be). Ceci est de nature à renforcer le deuxième axe de cette stratégie, à savoir une détection rapide des cas afin d’identifier aussi vite que possible les chaînes de transmission et d’isoler les personnes pour empêcher les contaminations.
Mais ce qui se passe en Italie…
Cela nous montre que la situation n’est pas figée. Qu’il importe d’envisager le scénario d’une épidémie de grande ampleur, qui pourrait aussi toucher la Belgique. A la lumière de ce que nous constatons, ce serait déraisonnable de ne pas le faire. Cela implique une adaptation du plan pandémie, notamment pour bien répartir les patients dans les différentes structures hospitalières. Dans le même temps, cette anticipation, cette prudence, ne signifie pas qu’il faudrait se livrer à des projections catastrophistes pour alimenter un climat de terreur.
Que pensez-vous par exemple des prévisions de ce professeur d’université de Hong Kong, qui annonce que deux tiers de la population mondiale pourrait être touchée par le coronavirus ?
Les prévisions à plus de deux mois me semblent hasardeuses. Et certainement sont-elles aussi contestables alors que, dans des zones qui ont été fortement touchées, on constate un recul des contaminations. Dans la province de Hubei qui est l’épicentre de l’épidémie, le coronavirus est en train de reculer. Le bilan chiffré est de 60 000 cas pour une population de 50 millions d’habitants. Si on en reste là, 1 personne sur 1 000 aura été infectée dans cette province. On est très loin des 60 % ! Pour avoir une idée de ce qui pourrait se passer en cas d’épidémie en Europe, nous devons avoir un regard attentif sur la Corée du Sud, qui connaît plusieurs centaines de cas. Ce pays dispose d’un système médical et hospitalier comparable au nôtre et pratique une politique de « containment » qui ressemble à celle qui serait pratiquée ici : information de la population, suppression des grands rassemblements publics, détection rapide des cas pour limiter la propagation du virus, avec un suivi des contacts pour voir qui a contaminé qui.
Mais si ces mesures n’étaient pas suffisantes ?
Le niveau suivant serait de demander aux gens de rester chez eux. On peut envisager des fermetures d’école, de lieux publics, voire d’entreprises pour diminuer au maximum le taux de contacts entre les gens. D’ailleurs, c’est ce qu’ils commencent à faire en Italie en ce moment. En l’occurrence, ils appliquent au maximum le principe de précaution et je pense qu’ils ont raison. L’idée est d’arrêter la propagation du virus suffisamment tôt et suffisamment fortement pour éviter une saturation du système hospitalier.
Covid-19 ne va donc pas tous nous tuer ?
Non, certainement pas. Mais en même temps, il ne faut pas le banaliser. Disons-le encore, sur la base des données actuelles, c’est un virus plus dangereux que celui de la grippe saisonnière.
2. "Une longue cohabitation avec le Covid-19 doit être envisagée"
Un entretien réalisé le 16 mars 2020, publié le 19 mars 2020 par Paris Match Belgique et le 20 mars 2020 par le site Paris Match.be
Ce texte est en accès libre, suivre ce lien.
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Marius Gilbert : " Une longue cohabitation avec le Covid-19 doit être envisagée "
La » coronavida » pourrait durer des mois, voire un an. Dans une longue interview qui paraît ce jeudi dans l’édition papier de Paris Match Belgique, Marius Gilbert, chercheur en épidémiologie d…
3. "L'impact du confinement ? C'est le moment de vérité."
Un entretien réalisé le 23 mars 2020, publié le 26 mars 2020 par Paris Match Belgique et le 27 mars 2020 par le site Paris Match.be
Ce texte est en accès libre, suivre ce lien.
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Coronavirus, l'impact du confinement? " C'est le moment de vérité " selon Marius Gilbert
Avec Marius Gilbert, chercheur en épidémiologie de l’Université libre de Bruxelles, nous faisons l’état de la crise sanitaire. Chacun doit veiller à respecter les consignes de sécurité pour …
4. A-t-on minimisé des risques prévisibles ? Les réponses nuancées de Marius Gilbert
Un entretien réalisé le 31 mars 2020, publié le 2 avril 2020 sur le site Paris Match.be
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Coronavirus : A-t-on minimisé des risques prévisibles? Les réponses de Marius Gilbert
Marius Gilbert formule un espoir mesuré et conditionnel : on pourrait envisager une sortie partielle du confinement dans un mois si la courbe des nouvelles admissions en soins intensifs continue …
5. "Un déconfinement le 19 avril, c'est trop tôt
Un entretien réalisé le 6 avril 2020, publié le 9 avril 2020 par l'hebdomadaire Paris Match Belgique et sur le site de Paris Match.be
Ce texte est en accès libre, suivre ce lien.
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Marius Gilbert : " Un déconfinement le 19 avril ? C'est trop tôt "
Avertissement : cet entretien a été réalisé avant le début des travaux du Groupe d’experts en charge de l’exit strategy » (GEES) auquel Marius Gilbert a été convié par le gouvernement féd…
6 "Il va falloir inventer une autre manière de vivre"
Ce texte est en accès libre, suivre ce lien.
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Marius Gilbert : " Il va falloir inventer une autre manière de vivre "
Nous avons connu un temps où l’on regardait la météo pour prévoir nos activités futures. Dans la société partiellement » déconfinée » que l’on nous annonce pour bientôt, dans cette nouvel…
7 "On ne s'en sortira pas sans renoncements"
Ce texte est en accès libre, suivre ce lien.
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Marius Gilbert : " On ne s'en sortira pas sans renoncements "
En mars dernier, lorsque Marius Gilbert nous disait que la cohabitation avec le coronavirus allait durer des mois, cette perspective laissait quelque peu incrédule. Mais depuis que le monde est en…
https://parismatch.be/actualites/sante/393628/marius-gilbert-on-ne-sen-sortira-pas-sans-renoncements
8. Marius Gilbert : "Déconfiner, cela se conjugue au conditionnel"
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Marius Gilbert : " Déconfiner, cela se conjugue au conditionnel "
Aujourd’hui, nous n’en avons plus que pour ce mot que les dictionnaires ne connaissent pas encore : » déconfinement « . Un nouveau terme qui annonce une période aussi inédite que la précédente,…
9. "On aurait pu déconfiner plus prudemment"
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Marius Gilbert : " On aurait pu déconfiner plus prudemment "
Il apparait de plus en plus que les recommandations des experts qui conseillent le Conseil national de sécurité ne sont prises en compte que très partiellement par les décideurs politiques. Cel…
https://parismatch.be/actualites/sante/397822/marius-gilbert-on-aurait-pu-deconfiner-plus-prudemment

Marius Gilbert est chercheur en épidémiologie à l'Université Libre de Bruxelles. Photo : ©Olivier Polet (http://photographe-polet.com/)
Des entretiens réalisés tout au long de la crise sanitaire liée au coronavirus, avec Marius Gilbert, épidémiologiste à l'Université libre de Bruxelles.
Ces conversations commencèrent à la fin février 2020. Un petit entretien somme toute assez banal intitulé "Il faut être vigilant sans céder à la panique". Vous le trouverez intégralement reproduit un peu plus bas sur cette page. Déjà à ce moment, alors que certains parlaient de grippe, Marius Gilbert tenait un discours non pas alarmiste mais prudent, appelant à ne pas banaliser la propagation du coronavirus en Europe : "Il importe d'envisager le scénario d'une épidémie de grande ampleur", expliquait-il, tandis que la Belgique était encore à cent lieues d'imaginer qu'elle pourrait entrer dans une époque de confinement.
D'emblée, j'ai eu le sentiment d'avoir échangé avec un scientifique désirant vulgariser son savoir dans le souci de l'intérêt général. J'ai donc proposé à Marius Gilbert que nous conversions chaque semaine pour essayer d'aborder en profondeur les différents enjeux de la crise sanitaire sans langue de bois et commenter l'évolution de la pandémie. En mars 2020, débutait donc un travail d'entretien approfondi. Je vous recommande la lecture de ces conversations qui, à mon sens, donnent un certain nombre de clés pour mieux comprendre la crise sanitaire que nous traversons collectivement. Ces textes sont accès libre ici :
1. "Il faut être très vigilant sans céder à la panique" (27 février 2020)
(Voir plus bas pour ce premier texte; pour les textes suivants, il suffit de cliquer sur le titre pour être renvoyé vers le site de Paris Match Belgique où ces entretiens sont en accès libre)
2. "Une longue cohabitation avec le Covid-19 doit être envisagée" (19 mars 2020)
3. "L'impact du confinement? C'est le moment de vérité" (23 mars 2020)
4. "A-t-on minimisé des risques prévisibles? Les réponses nuancées de Marius Gilbert" (2 avril 2020)
5. "Un déconfinement le 19 avril? C'est trop tôt" (9 avril 2020)
6. "Il va falloir inventer une autre manière de vivre" (16 avril 2020)
7. "On n'en sortira pas sans renoncements" (23 avril 2020)
8. " Déconfiner, cela se conjugue au conditionnel " (30 avril 2020)
9. " On aurait pu déconfiner plus prudemment" (9 mai 2020)
10. Ce passage à la phase 2 me met mal à l'aise (16 mai 2020)
11. " Les scientifiques parlent trop peu de leurs incertitudes » (22 mai 2020)
12. "Il faut repenser les outles de contrôle de l'épidémie (4 juin 2020)
13. L’épidémiologiste Marius Gilbert répond aux « coronasceptiques » (19 septembre 2020)
14. Marius Gilbert quitte le Celeval : Il explique sa décision (23 septembre 2020)
15. « C’était devenu compliqué de faire entendre que rien n’était terminé » (17 octobre 2020)
16. "On a trop opposé les enjeux sanitaires et économiques" (28 octobre 2020)
17. « Nous entamons une course contre la montre face au variant britannique » (16 janvier 2021)
18. "On peut se demander pourquoi la culture passe toujours en dernier" (20 février 2021)
19. "L'été prochain, on ne pourra pas tout relâcher" (27 mars 2021)
20. Le variant Delta nous réserve-t-il une mauvaise surprise? (12 juin 2021)
21. Vaccination obligatoire : l'avis circonspect de Marius Gilbert (24 janvier 2022)
1. "Il faut être très vigilant sans céder à la panique"
Un entretien réalisé le 24 février 2020, publié le 27 février 2020 par l'hebdomadaire Paris Match Belgique.
L’inflation du nombre de personnes contaminées en Italie crée de l’appréhension en Belgique. Cette inquiétude est-elle justifiée ?
Marius Gilbert. Cela doit nous rendre vigilant, mais il serait très contreproductif de céder à la panique. Les Italiens ont mis en place des mesures de précaution dans les régions les plus touchées pour laisser le temps aux autorités sanitaires de faire le suivi des patients. En limitant les déplacements des personnes et en évitant les grands rassemblements dans les lieux publics, les Italiens font ce qu’il convient pour geler la propagation du virus. Cette stratégie vise à donner du temps aux autorités sanitaires pour identifier les cas et interrompre les chaînes de transmission en isolant les personnes contaminantes. Les autorités de Singapour ont agi de même à la mi-février, lorsqu’elles ont été confrontées à une inquiétante augmentation du nombre des cas. Force est de constater qu’elles ont réussi à stabiliser la situation : il y a trois ou quatre cas par jour, mais on ne constate pas la grave phase épidémique qu’on avait redoutée. Il n’est donc pas du tout exclu que l’Italie arrive à passer au-dessus de cette vague de contaminations grâce à un bon suivi et à différentes mesures pour limiter les contacts entre les personnes dans les régions touchées.
On est donc loin d’une situation incontrôlée ?
A ce stade, rien ne le laisse penser. Mais maintenant, et c’est pour cela que je parle de vigilance, on ne peut pas non plus parler d’une situation ne présentant aucune incertitude.
Vous voulez parler de ce fameux « patient zéro » que les Italiens ne parviennent pas à trouver ?
Les médias se focalisent beaucoup là-dessus, mais ce n’est pas vraiment surprenant qu’on ne le retrouve pas. Cela revient à chercher une aiguille dans une botte de foin. Si je vous demandais de me faire la liste de toutes les personnes avec lesquelles vous avez été en contact durant les dix derniers jours, vous auriez bien du mal à me répondre. Quand je parle d’incertitude, je pense à la problématique des patients présentant des infections bénignes. Des gens qui sont actuellement en train de vivre tout à fait normalement en Italie ou ailleurs, sans se rendre compte qu’elles sont contaminantes. On ne sait pas très bien quelle est la part de ces patients quasi asymptomatiques dans la transmission du virus.
« En moyenne, chaque personne infectée contamine deux autres individus »
Qu’entendez-vous par infection bénigne ?
Je parle ici d’un nombre relativement important de personnes qui, bien qu’elles soient atteintes par le virus, ne développent que des symptômes légers qui ne les empêchent pas de vaquer à leurs occupations habituelles : légère fièvre, mal de gorge… En Belgique, on a une expression pour cela : « se sentir un peu patraque ». En un sens, c’est évidemment une bonne nouvelle que des tas de gens résistent ainsi au virus mais, d’un autre côté, on s’interroge encore sur la charge infectieuse de ceux-là : à quel point sont-ils contaminants ? On a ainsi des cas documentés de personnes qui en ont contaminé beaucoup d’autres. A Singapour, par exemple, un conférencier a été un vecteur important de la maladie.
Toute personne infectée est-elle une bombe virale ?
Heureusement non. Certains individus sont beaucoup moins contaminants que d’autres. Cette variabilité ressort de données chinoises qui font l’objet d’un consensus assez large au sein de la communauté scientifique. Elles nous indiquent que le taux de reproduction net de la maladie est de deux, ce qui veut dire qu’en moyenne, chaque personne infectée contamine deux autres personnes. Cependant, on arrive à cette moyenne de deux alors que certaines malades contaminent dix ou quinze autres individus. Autrement dit, certains patients se sont avérés peu ou pas contagieux. La variabilité de l’infectiosité des malades avait
déjà été observée lors de l’épidémie de SRAS, en 2003.
« Entre 0,1 % et 1 % de personnes touchées par le coronavirus en meurent. C’est plus que pour la grippe »
Variabilité dans la transmission, mais aussi dans la résistance au virus ?
De fait, le groupe le plus important est constitué des personnes dont le système immunitaire l’emporte, ce qui leur permet d’éliminer toute charge virale en quelque deux semaines. Mais environ 20 % des patients développent des symptômes de type « pneumonie », qui nécessiteront des traitements adéquats lors d’une hospitalisation. Dans ce second groupe, constitué de personnes souvent âgées qui se sont rendues à l’hôpital, on estime la mortalité à 1 % ou 2 %.
D’une manière plus globale, quel est le taux de mortalité des personnes infectées ?
Selon les estimations, entre 0,1 % et 1 % de personnes touchées par le coronavirus en meurent. C’est plus que pour la grippe. Maintenant, la communication de ces chiffres appelle des nuances : encore une fois, le taux de mortalité fluctue très fort selon les différentes classes d’âge. Le coronavirus, tout comme le virus de la grippe, est surtout meurtrier pour les personnes plus âgées. Les personnes diabétiques, les fumeurs aussi, sont plus à risques.
Beaucoup de personnes vont et viennent d’Italie. Cela veut-il dire que le virus va inévitablement se répandre en Belgique ?
Tous les pays prudents doivent se préparer à l’arrivée de personnes contaminées sur leur territoire. Mais avec l’Italie, on comprend évidemment que cela élargit les possibilités de « transport » pour le virus en Europe. Il n’y a pas que l’avion, il y a aussi le train, la voiture… Cela dit, ce qui se passe en Italie n’est pas encore de l’ordre de la catastrophe et, à ce stade, des mesures préventives du type interdiction d’événements publics ne se justifient pas encore en Belgique. De même, on ne va pas contrôler toute personne venant d’Italie, faire des barrages routiers ou des choses de ce genre. Comme l’ont démontré des modélisations, on ne détecterait que 30 % à 40 % des cas. Surtout, ce serait contre-productif dans la mesure où une telle politique alimenterait une forme de psychose collective, un climat de peur. Par contre, chacun peut déjà prendre des mesures individuelles toutes simples, comme se laver les mains plusieurs fois par jour. C’est d’ailleurs aussi un excellent moyen pour se protéger de la grippe saisonnière.
« Il importe aussi d’envisager le scénario d’une épidémie de grande ampleur »
D’un scientifique à l’autre, les tonalités du discours peuvent être bien différentes…
C’est vrai que certains se veulent par trop rassurants et que d’autres semblent considérer que la présence d’une certaine dose de peur dans la population peut contribuer à la vigilance collective. En ce qui me concerne, je suis partagé. Je n’ai pas envie de crier au loup mais, en même temps, je n’ai pas envie de dire « Dormez, braves gens ».
Dès lors, la vigilance minimale pour la Belgique, vous la définiriez comment ?
Cela commence par une bonne information au niveau du grand public et des médecins sur ce qu’est le coronavirus, ses symptômes, la réaction à adopter en cas d’apparition de ceux-ci. C’est d’ailleurs ce qui est fait actuellement (NDLR : voir le site www.info-coronavirus.be). Ceci est de nature à renforcer le deuxième axe de cette stratégie, à savoir une détection rapide des cas afin d’identifier aussi vite que possible les chaînes de transmission et d’isoler les personnes pour empêcher les contaminations.
Mais ce qui se passe en Italie…
Cela nous montre que la situation n’est pas figée. Qu’il importe d’envisager le scénario d’une épidémie de grande ampleur, qui pourrait aussi toucher la Belgique. A la lumière de ce que nous constatons, ce serait déraisonnable de ne pas le faire. Cela implique une adaptation du plan pandémie, notamment pour bien répartir les patients dans les différentes structures hospitalières. Dans le même temps, cette anticipation, cette prudence, ne signifie pas qu’il faudrait se livrer à des projections catastrophistes pour alimenter un climat de terreur.
Que pensez-vous par exemple des prévisions de ce professeur d’université de Hong Kong, qui annonce que deux tiers de la population mondiale pourrait être touchée par le coronavirus ?
Les prévisions à plus de deux mois me semblent hasardeuses. Et certainement sont-elles aussi contestables alors que, dans des zones qui ont été fortement touchées, on constate un recul des contaminations. Dans la province de Hubei qui est l’épicentre de l’épidémie, le coronavirus est en train de reculer. Le bilan chiffré est de 60 000 cas pour une population de 50 millions d’habitants. Si on en reste là, 1 personne sur 1 000 aura été infectée dans cette province. On est très loin des 60 % ! Pour avoir une idée de ce qui pourrait se passer en cas d’épidémie en Europe, nous devons avoir un regard attentif sur la Corée du Sud, qui connaît plusieurs centaines de cas. Ce pays dispose d’un système médical et hospitalier comparable au nôtre et pratique une politique de « containment » qui ressemble à celle qui serait pratiquée ici : information de la population, suppression des grands rassemblements publics, détection rapide des cas pour limiter la propagation du virus, avec un suivi des contacts pour voir qui a contaminé qui.
Mais si ces mesures n’étaient pas suffisantes ?
Le niveau suivant serait de demander aux gens de rester chez eux. On peut envisager des fermetures d’école, de lieux publics, voire d’entreprises pour diminuer au maximum le taux de contacts entre les gens. D’ailleurs, c’est ce qu’ils commencent à faire en Italie en ce moment. En l’occurrence, ils appliquent au maximum le principe de précaution et je pense qu’ils ont raison. L’idée est d’arrêter la propagation du virus suffisamment tôt et suffisamment fortement pour éviter une saturation du système hospitalier.
Covid-19 ne va donc pas tous nous tuer ?
Non, certainement pas. Mais en même temps, il ne faut pas le banaliser. Disons-le encore, sur la base des données actuelles, c’est un virus plus dangereux que celui de la grippe saisonnière.
2. "Une longue cohabitation avec le Covid-19 doit être envisagée"
Un entretien réalisé le 16 mars 2020, publié le 19 mars 2020 par Paris Match Belgique et le 20 mars 2020 par le site Paris Match.be
Ce texte est en accès libre, suivre ce lien.
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Marius Gilbert : " Une longue cohabitation avec le Covid-19 doit être envisagée "
La » coronavida » pourrait durer des mois, voire un an. Dans une longue interview qui paraît ce jeudi dans l’édition papier de Paris Match Belgique, Marius Gilbert, chercheur en épidémiologie d…
3. "L'impact du confinement ? C'est le moment de vérité."
Un entretien réalisé le 23 mars 2020, publié le 26 mars 2020 par Paris Match Belgique et le 27 mars 2020 par le site Paris Match.be
Ce texte est en accès libre, suivre ce lien.
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Coronavirus, l'impact du confinement? " C'est le moment de vérité " selon Marius Gilbert
Avec Marius Gilbert, chercheur en épidémiologie de l’Université libre de Bruxelles, nous faisons l’état de la crise sanitaire. Chacun doit veiller à respecter les consignes de sécurité pour …
4. A-t-on minimisé des risques prévisibles ? Les réponses nuancées de Marius Gilbert
Un entretien réalisé le 31 mars 2020, publié le 2 avril 2020 sur le site Paris Match.be
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Coronavirus : A-t-on minimisé des risques prévisibles? Les réponses de Marius Gilbert
Marius Gilbert formule un espoir mesuré et conditionnel : on pourrait envisager une sortie partielle du confinement dans un mois si la courbe des nouvelles admissions en soins intensifs continue …
5. "Un déconfinement le 19 avril, c'est trop tôt
Un entretien réalisé le 6 avril 2020, publié le 9 avril 2020 par l'hebdomadaire Paris Match Belgique et sur le site de Paris Match.be
Ce texte est en accès libre, suivre ce lien.
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Marius Gilbert : " Un déconfinement le 19 avril ? C'est trop tôt "
Avertissement : cet entretien a été réalisé avant le début des travaux du Groupe d’experts en charge de l’exit strategy » (GEES) auquel Marius Gilbert a été convié par le gouvernement féd…
6 "Il va falloir inventer une autre manière de vivre"
Ce texte est en accès libre, suivre ce lien.
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Marius Gilbert : " Il va falloir inventer une autre manière de vivre "
Nous avons connu un temps où l’on regardait la météo pour prévoir nos activités futures. Dans la société partiellement » déconfinée » que l’on nous annonce pour bientôt, dans cette nouvel…
7 "On ne s'en sortira pas sans renoncements"
Ce texte est en accès libre, suivre ce lien.
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Marius Gilbert : " On ne s'en sortira pas sans renoncements "
En mars dernier, lorsque Marius Gilbert nous disait que la cohabitation avec le coronavirus allait durer des mois, cette perspective laissait quelque peu incrédule. Mais depuis que le monde est en…
https://parismatch.be/actualites/sante/393628/marius-gilbert-on-ne-sen-sortira-pas-sans-renoncements
8. Marius Gilbert : "Déconfiner, cela se conjugue au conditionnel"
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Marius Gilbert : " Déconfiner, cela se conjugue au conditionnel "
Aujourd’hui, nous n’en avons plus que pour ce mot que les dictionnaires ne connaissent pas encore : » déconfinement « . Un nouveau terme qui annonce une période aussi inédite que la précédente,…
9. "On aurait pu déconfiner plus prudemment"
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Marius Gilbert : " On aurait pu déconfiner plus prudemment "
Il apparait de plus en plus que les recommandations des experts qui conseillent le Conseil national de sécurité ne sont prises en compte que très partiellement par les décideurs politiques. Cel…
https://parismatch.be/actualites/sante/397822/marius-gilbert-on-aurait-pu-deconfiner-plus-prudemment

Marius Gilbert est chercheur en épidémiologie à l'Université Libre de Bruxelles. Photo : ©Olivier Polet (http://photographe-polet.com/)
Des entretiens réalisés tout au long de la crise sanitaire liée au coronavirus, avec Marius Gilbert, épidémiologiste à l'Université libre de Bruxelles.
Ces conversations commencèrent à la fin février 2020. Un petit entretien somme toute assez banal intitulé "Il faut être vigilant sans céder à la panique". Vous le trouverez intégralement reproduit un peu plus bas sur cette page. Déjà à ce moment, alors que certains parlaient de grippe, Marius Gilbert tenait un discours non pas alarmiste mais prudent, appelant à ne pas banaliser la propagation du coronavirus en Europe : "Il importe d'envisager le scénario d'une épidémie de grande ampleur", expliquait-il, tandis que la Belgique était encore à cent lieues d'imaginer qu'elle pourrait entrer dans une époque de confinement.
D'emblée, j'ai eu le sentiment d'avoir échangé avec un scientifique désirant vulgariser son savoir dans le souci de l'intérêt général. J'ai donc proposé à Marius Gilbert que nous conversions chaque semaine pour essayer d'aborder en profondeur les différents enjeux de la crise sanitaire sans langue de bois et commenter l'évolution de la pandémie. En mars 2020, débutait donc un travail d'entretien approfondi. Je vous recommande la lecture de ces conversations qui, à mon sens, donnent un certain nombre de clés pour mieux comprendre la crise sanitaire que nous traversons collectivement. Ces textes sont accès libre ici :
1. "Il faut être très vigilant sans céder à la panique" (27 février 2020)
(Voir plus bas pour ce premier texte; pour les textes suivants, il suffit de cliquer sur le titre pour être renvoyé vers le site de Paris Match Belgique où ces entretiens sont en accès libre)
2. "Une longue cohabitation avec le Covid-19 doit être envisagée" (19 mars 2020)
3. "L'impact du confinement? C'est le moment de vérité" (23 mars 2020)
4. "A-t-on minimisé des risques prévisibles? Les réponses nuancées de Marius Gilbert" (2 avril 2020)
5. "Un déconfinement le 19 avril? C'est trop tôt" (9 avril 2020)
6. "Il va falloir inventer une autre manière de vivre" (16 avril 2020)
7. "On n'en sortira pas sans renoncements" (23 avril 2020)
8. " Déconfiner, cela se conjugue au conditionnel " (30 avril 2020)
9. " On aurait pu déconfiner plus prudemment" (9 mai 2020)
10. Ce passage à la phase 2 me met mal à l'aise (16 mai 2020)
11. " Les scientifiques parlent trop peu de leurs incertitudes » (22 mai 2020)
12. "Il faut repenser les outles de contrôle de l'épidémie (4 juin 2020)
13. L’épidémiologiste Marius Gilbert répond aux « coronasceptiques » (19 septembre 2020)
14. Marius Gilbert quitte le Celeval : Il explique sa décision (23 septembre 2020)
15. « C’était devenu compliqué de faire entendre que rien n’était terminé » (17 octobre 2020)
16. "On a trop opposé les enjeux sanitaires et économiques" (28 octobre 2020)
17. « Nous entamons une course contre la montre face au variant britannique » (16 janvier 2021)
18. "On peut se demander pourquoi la culture passe toujours en dernier" (20 février 2021)
19. "L'été prochain, on ne pourra pas tout relâcher" (27 mars 2021)
20. Le variant Delta nous réserve-t-il une mauvaise surprise? (12 juin 2021)
21. Vaccination obligatoire : l'avis circonspect de Marius Gilbert (24 janvier 2022)
1. "Il faut être très vigilant sans céder à la panique"
Un entretien réalisé le 24 février 2020, publié le 27 février 2020 par l'hebdomadaire Paris Match Belgique.
L’inflation du nombre de personnes contaminées en Italie crée de l’appréhension en Belgique. Cette inquiétude est-elle justifiée ?
Marius Gilbert. Cela doit nous rendre vigilant, mais il serait très contreproductif de céder à la panique. Les Italiens ont mis en place des mesures de précaution dans les régions les plus touchées pour laisser le temps aux autorités sanitaires de faire le suivi des patients. En limitant les déplacements des personnes et en évitant les grands rassemblements dans les lieux publics, les Italiens font ce qu’il convient pour geler la propagation du virus. Cette stratégie vise à donner du temps aux autorités sanitaires pour identifier les cas et interrompre les chaînes de transmission en isolant les personnes contaminantes. Les autorités de Singapour ont agi de même à la mi-février, lorsqu’elles ont été confrontées à une inquiétante augmentation du nombre des cas. Force est de constater qu’elles ont réussi à stabiliser la situation : il y a trois ou quatre cas par jour, mais on ne constate pas la grave phase épidémique qu’on avait redoutée. Il n’est donc pas du tout exclu que l’Italie arrive à passer au-dessus de cette vague de contaminations grâce à un bon suivi et à différentes mesures pour limiter les contacts entre les personnes dans les régions touchées.
On est donc loin d’une situation incontrôlée ?
A ce stade, rien ne le laisse penser. Mais maintenant, et c’est pour cela que je parle de vigilance, on ne peut pas non plus parler d’une situation ne présentant aucune incertitude.
Vous voulez parler de ce fameux « patient zéro » que les Italiens ne parviennent pas à trouver ?
Les médias se focalisent beaucoup là-dessus, mais ce n’est pas vraiment surprenant qu’on ne le retrouve pas. Cela revient à chercher une aiguille dans une botte de foin. Si je vous demandais de me faire la liste de toutes les personnes avec lesquelles vous avez été en contact durant les dix derniers jours, vous auriez bien du mal à me répondre. Quand je parle d’incertitude, je pense à la problématique des patients présentant des infections bénignes. Des gens qui sont actuellement en train de vivre tout à fait normalement en Italie ou ailleurs, sans se rendre compte qu’elles sont contaminantes. On ne sait pas très bien quelle est la part de ces patients quasi asymptomatiques dans la transmission du virus.
« En moyenne, chaque personne infectée contamine deux autres individus »
Qu’entendez-vous par infection bénigne ?
Je parle ici d’un nombre relativement important de personnes qui, bien qu’elles soient atteintes par le virus, ne développent que des symptômes légers qui ne les empêchent pas de vaquer à leurs occupations habituelles : légère fièvre, mal de gorge… En Belgique, on a une expression pour cela : « se sentir un peu patraque ». En un sens, c’est évidemment une bonne nouvelle que des tas de gens résistent ainsi au virus mais, d’un autre côté, on s’interroge encore sur la charge infectieuse de ceux-là : à quel point sont-ils contaminants ? On a ainsi des cas documentés de personnes qui en ont contaminé beaucoup d’autres. A Singapour, par exemple, un conférencier a été un vecteur important de la maladie.
Toute personne infectée est-elle une bombe virale ?
Heureusement non. Certains individus sont beaucoup moins contaminants que d’autres. Cette variabilité ressort de données chinoises qui font l’objet d’un consensus assez large au sein de la communauté scientifique. Elles nous indiquent que le taux de reproduction net de la maladie est de deux, ce qui veut dire qu’en moyenne, chaque personne infectée contamine deux autres personnes. Cependant, on arrive à cette moyenne de deux alors que certaines malades contaminent dix ou quinze autres individus. Autrement dit, certains patients se sont avérés peu ou pas contagieux. La variabilité de l’infectiosité des malades avait
déjà été observée lors de l’épidémie de SRAS, en 2003.
« Entre 0,1 % et 1 % de personnes touchées par le coronavirus en meurent. C’est plus que pour la grippe »
Variabilité dans la transmission, mais aussi dans la résistance au virus ?
De fait, le groupe le plus important est constitué des personnes dont le système immunitaire l’emporte, ce qui leur permet d’éliminer toute charge virale en quelque deux semaines. Mais environ 20 % des patients développent des symptômes de type « pneumonie », qui nécessiteront des traitements adéquats lors d’une hospitalisation. Dans ce second groupe, constitué de personnes souvent âgées qui se sont rendues à l’hôpital, on estime la mortalité à 1 % ou 2 %.
D’une manière plus globale, quel est le taux de mortalité des personnes infectées ?
Selon les estimations, entre 0,1 % et 1 % de personnes touchées par le coronavirus en meurent. C’est plus que pour la grippe. Maintenant, la communication de ces chiffres appelle des nuances : encore une fois, le taux de mortalité fluctue très fort selon les différentes classes d’âge. Le coronavirus, tout comme le virus de la grippe, est surtout meurtrier pour les personnes plus âgées. Les personnes diabétiques, les fumeurs aussi, sont plus à risques.
Beaucoup de personnes vont et viennent d’Italie. Cela veut-il dire que le virus va inévitablement se répandre en Belgique ?
Tous les pays prudents doivent se préparer à l’arrivée de personnes contaminées sur leur territoire. Mais avec l’Italie, on comprend évidemment que cela élargit les possibilités de « transport » pour le virus en Europe. Il n’y a pas que l’avion, il y a aussi le train, la voiture… Cela dit, ce qui se passe en Italie n’est pas encore de l’ordre de la catastrophe et, à ce stade, des mesures préventives du type interdiction d’événements publics ne se justifient pas encore en Belgique. De même, on ne va pas contrôler toute personne venant d’Italie, faire des barrages routiers ou des choses de ce genre. Comme l’ont démontré des modélisations, on ne détecterait que 30 % à 40 % des cas. Surtout, ce serait contre-productif dans la mesure où une telle politique alimenterait une forme de psychose collective, un climat de peur. Par contre, chacun peut déjà prendre des mesures individuelles toutes simples, comme se laver les mains plusieurs fois par jour. C’est d’ailleurs aussi un excellent moyen pour se protéger de la grippe saisonnière.
« Il importe aussi d’envisager le scénario d’une épidémie de grande ampleur »
D’un scientifique à l’autre, les tonalités du discours peuvent être bien différentes…
C’est vrai que certains se veulent par trop rassurants et que d’autres semblent considérer que la présence d’une certaine dose de peur dans la population peut contribuer à la vigilance collective. En ce qui me concerne, je suis partagé. Je n’ai pas envie de crier au loup mais, en même temps, je n’ai pas envie de dire « Dormez, braves gens ».
Dès lors, la vigilance minimale pour la Belgique, vous la définiriez comment ?
Cela commence par une bonne information au niveau du grand public et des médecins sur ce qu’est le coronavirus, ses symptômes, la réaction à adopter en cas d’apparition de ceux-ci. C’est d’ailleurs ce qui est fait actuellement (NDLR : voir le site www.info-coronavirus.be). Ceci est de nature à renforcer le deuxième axe de cette stratégie, à savoir une détection rapide des cas afin d’identifier aussi vite que possible les chaînes de transmission et d’isoler les personnes pour empêcher les contaminations.
Mais ce qui se passe en Italie…
Cela nous montre que la situation n’est pas figée. Qu’il importe d’envisager le scénario d’une épidémie de grande ampleur, qui pourrait aussi toucher la Belgique. A la lumière de ce que nous constatons, ce serait déraisonnable de ne pas le faire. Cela implique une adaptation du plan pandémie, notamment pour bien répartir les patients dans les différentes structures hospitalières. Dans le même temps, cette anticipation, cette prudence, ne signifie pas qu’il faudrait se livrer à des projections catastrophistes pour alimenter un climat de terreur.
Que pensez-vous par exemple des prévisions de ce professeur d’université de Hong Kong, qui annonce que deux tiers de la population mondiale pourrait être touchée par le coronavirus ?
Les prévisions à plus de deux mois me semblent hasardeuses. Et certainement sont-elles aussi contestables alors que, dans des zones qui ont été fortement touchées, on constate un recul des contaminations. Dans la province de Hubei qui est l’épicentre de l’épidémie, le coronavirus est en train de reculer. Le bilan chiffré est de 60 000 cas pour une population de 50 millions d’habitants. Si on en reste là, 1 personne sur 1 000 aura été infectée dans cette province. On est très loin des 60 % ! Pour avoir une idée de ce qui pourrait se passer en cas d’épidémie en Europe, nous devons avoir un regard attentif sur la Corée du Sud, qui connaît plusieurs centaines de cas. Ce pays dispose d’un système médical et hospitalier comparable au nôtre et pratique une politique de « containment » qui ressemble à celle qui serait pratiquée ici : information de la population, suppression des grands rassemblements publics, détection rapide des cas pour limiter la propagation du virus, avec un suivi des contacts pour voir qui a contaminé qui.
Mais si ces mesures n’étaient pas suffisantes ?
Le niveau suivant serait de demander aux gens de rester chez eux. On peut envisager des fermetures d’école, de lieux publics, voire d’entreprises pour diminuer au maximum le taux de contacts entre les gens. D’ailleurs, c’est ce qu’ils commencent à faire en Italie en ce moment. En l’occurrence, ils appliquent au maximum le principe de précaution et je pense qu’ils ont raison. L’idée est d’arrêter la propagation du virus suffisamment tôt et suffisamment fortement pour éviter une saturation du système hospitalier.
Covid-19 ne va donc pas tous nous tuer ?
Non, certainement pas. Mais en même temps, il ne faut pas le banaliser. Disons-le encore, sur la base des données actuelles, c’est un virus plus dangereux que celui de la grippe saisonnière.
2. "Une longue cohabitation avec le Covid-19 doit être envisagée"
Un entretien réalisé le 16 mars 2020, publié le 19 mars 2020 par Paris Match Belgique et le 20 mars 2020 par le site Paris Match.be
Ce texte est en accès libre, suivre ce lien.
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Marius Gilbert : " Une longue cohabitation avec le Covid-19 doit être envisagée "
La » coronavida » pourrait durer des mois, voire un an. Dans une longue interview qui paraît ce jeudi dans l’édition papier de Paris Match Belgique, Marius Gilbert, chercheur en épidémiologie d…
3. "L'impact du confinement ? C'est le moment de vérité."
Un entretien réalisé le 23 mars 2020, publié le 26 mars 2020 par Paris Match Belgique et le 27 mars 2020 par le site Paris Match.be
Ce texte est en accès libre, suivre ce lien.
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Coronavirus, l'impact du confinement? " C'est le moment de vérité " selon Marius Gilbert
Avec Marius Gilbert, chercheur en épidémiologie de l’Université libre de Bruxelles, nous faisons l’état de la crise sanitaire. Chacun doit veiller à respecter les consignes de sécurité pour …
4. A-t-on minimisé des risques prévisibles ? Les réponses nuancées de Marius Gilbert
Un entretien réalisé le 31 mars 2020, publié le 2 avril 2020 sur le site Paris Match.be
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Coronavirus : A-t-on minimisé des risques prévisibles? Les réponses de Marius Gilbert
Marius Gilbert formule un espoir mesuré et conditionnel : on pourrait envisager une sortie partielle du confinement dans un mois si la courbe des nouvelles admissions en soins intensifs continue …
5. "Un déconfinement le 19 avril, c'est trop tôt
Un entretien réalisé le 6 avril 2020, publié le 9 avril 2020 par l'hebdomadaire Paris Match Belgique et sur le site de Paris Match.be
Ce texte est en accès libre, suivre ce lien.
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Marius Gilbert : " Un déconfinement le 19 avril ? C'est trop tôt "
Avertissement : cet entretien a été réalisé avant le début des travaux du Groupe d’experts en charge de l’exit strategy » (GEES) auquel Marius Gilbert a été convié par le gouvernement féd…
6 "Il va falloir inventer une autre manière de vivre"
Ce texte est en accès libre, suivre ce lien.
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Marius Gilbert : " Il va falloir inventer une autre manière de vivre "
Nous avons connu un temps où l’on regardait la météo pour prévoir nos activités futures. Dans la société partiellement » déconfinée » que l’on nous annonce pour bientôt, dans cette nouvel…
7 "On ne s'en sortira pas sans renoncements"
Ce texte est en accès libre, suivre ce lien.
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Marius Gilbert : " On ne s'en sortira pas sans renoncements "
En mars dernier, lorsque Marius Gilbert nous disait que la cohabitation avec le coronavirus allait durer des mois, cette perspective laissait quelque peu incrédule. Mais depuis que le monde est en…
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8. Marius Gilbert : "Déconfiner, cela se conjugue au conditionnel"
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Marius Gilbert : " Déconfiner, cela se conjugue au conditionnel "
Aujourd’hui, nous n’en avons plus que pour ce mot que les dictionnaires ne connaissent pas encore : » déconfinement « . Un nouveau terme qui annonce une période aussi inédite que la précédente,…
9. "On aurait pu déconfiner plus prudemment"
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Marius Gilbert : " On aurait pu déconfiner plus prudemment "
Il apparait de plus en plus que les recommandations des experts qui conseillent le Conseil national de sécurité ne sont prises en compte que très partiellement par les décideurs politiques. Cel…
https://parismatch.be/actualites/sante/397822/marius-gilbert-on-aurait-pu-deconfiner-plus-prudemment

Marius Gilbert est chercheur en épidémiologie à l'Université Libre de Bruxelles. Photo : ©Olivier Polet (http://photographe-polet.com/)
Des entretiens réalisés tout au long de la crise sanitaire liée au coronavirus, avec Marius Gilbert, épidémiologiste à l'Université libre de Bruxelles.
Ces conversations commencèrent à la fin février 2020. Un petit entretien somme toute assez banal intitulé "Il faut être vigilant sans céder à la panique". Vous le trouverez intégralement reproduit un peu plus bas sur cette page. Déjà à ce moment, alors que certains parlaient de grippe, Marius Gilbert tenait un discours non pas alarmiste mais prudent, appelant à ne pas banaliser la propagation du coronavirus en Europe : "Il importe d'envisager le scénario d'une épidémie de grande ampleur", expliquait-il, tandis que la Belgique était encore à cent lieues d'imaginer qu'elle pourrait entrer dans une époque de confinement.
D'emblée, j'ai eu le sentiment d'avoir échangé avec un scientifique désirant vulgariser son savoir dans le souci de l'intérêt général. J'ai donc proposé à Marius Gilbert que nous conversions chaque semaine pour essayer d'aborder en profondeur les différents enjeux de la crise sanitaire sans langue de bois et commenter l'évolution de la pandémie. En mars 2020, débutait donc un travail d'entretien approfondi. Je vous recommande la lecture de ces conversations qui, à mon sens, donnent un certain nombre de clés pour mieux comprendre la crise sanitaire que nous traversons collectivement. Ces textes sont accès libre ici :
1. "Il faut être très vigilant sans céder à la panique" (27 février 2020)
(Voir plus bas pour ce premier texte; pour les textes suivants, il suffit de cliquer sur le titre pour être renvoyé vers le site de Paris Match Belgique où ces entretiens sont en accès libre)
2. "Une longue cohabitation avec le Covid-19 doit être envisagée" (19 mars 2020)
3. "L'impact du confinement? C'est le moment de vérité" (23 mars 2020)
4. "A-t-on minimisé des risques prévisibles? Les réponses nuancées de Marius Gilbert" (2 avril 2020)
5. "Un déconfinement le 19 avril? C'est trop tôt" (9 avril 2020)
6. "Il va falloir inventer une autre manière de vivre" (16 avril 2020)
7. "On n'en sortira pas sans renoncements" (23 avril 2020)
8. " Déconfiner, cela se conjugue au conditionnel " (30 avril 2020)
9. " On aurait pu déconfiner plus prudemment" (9 mai 2020)
10. Ce passage à la phase 2 me met mal à l'aise (16 mai 2020)
11. " Les scientifiques parlent trop peu de leurs incertitudes » (22 mai 2020)
12. "Il faut repenser les outles de contrôle de l'épidémie (4 juin 2020)
13. L’épidémiologiste Marius Gilbert répond aux « coronasceptiques » (19 septembre 2020)
14. Marius Gilbert quitte le Celeval : Il explique sa décision (23 septembre 2020)
15. « C’était devenu compliqué de faire entendre que rien n’était terminé » (17 octobre 2020)
16. "On a trop opposé les enjeux sanitaires et économiques" (28 octobre 2020)
17. « Nous entamons une course contre la montre face au variant britannique » (16 janvier 2021)
18. "On peut se demander pourquoi la culture passe toujours en dernier" (20 février 2021)
19. "L'été prochain, on ne pourra pas tout relâcher" (27 mars 2021)
20. Le variant Delta nous réserve-t-il une mauvaise surprise? (12 juin 2021)
21. Vaccination obligatoire : l'avis circonspect de Marius Gilbert (24 janvier 2022)
1. "Il faut être très vigilant sans céder à la panique"
Un entretien réalisé le 24 février 2020, publié le 27 février 2020 par l'hebdomadaire Paris Match Belgique.
L’inflation du nombre de personnes contaminées en Italie crée de l’appréhension en Belgique. Cette inquiétude est-elle justifiée ?
Marius Gilbert. Cela doit nous rendre vigilant, mais il serait très contreproductif de céder à la panique. Les Italiens ont mis en place des mesures de précaution dans les régions les plus touchées pour laisser le temps aux autorités sanitaires de faire le suivi des patients. En limitant les déplacements des personnes et en évitant les grands rassemblements dans les lieux publics, les Italiens font ce qu’il convient pour geler la propagation du virus. Cette stratégie vise à donner du temps aux autorités sanitaires pour identifier les cas et interrompre les chaînes de transmission en isolant les personnes contaminantes. Les autorités de Singapour ont agi de même à la mi-février, lorsqu’elles ont été confrontées à une inquiétante augmentation du nombre des cas. Force est de constater qu’elles ont réussi à stabiliser la situation : il y a trois ou quatre cas par jour, mais on ne constate pas la grave phase épidémique qu’on avait redoutée. Il n’est donc pas du tout exclu que l’Italie arrive à passer au-dessus de cette vague de contaminations grâce à un bon suivi et à différentes mesures pour limiter les contacts entre les personnes dans les régions touchées.
On est donc loin d’une situation incontrôlée ?
A ce stade, rien ne le laisse penser. Mais maintenant, et c’est pour cela que je parle de vigilance, on ne peut pas non plus parler d’une situation ne présentant aucune incertitude.
Vous voulez parler de ce fameux « patient zéro » que les Italiens ne parviennent pas à trouver ?
Les médias se focalisent beaucoup là-dessus, mais ce n’est pas vraiment surprenant qu’on ne le retrouve pas. Cela revient à chercher une aiguille dans une botte de foin. Si je vous demandais de me faire la liste de toutes les personnes avec lesquelles vous avez été en contact durant les dix derniers jours, vous auriez bien du mal à me répondre. Quand je parle d’incertitude, je pense à la problématique des patients présentant des infections bénignes. Des gens qui sont actuellement en train de vivre tout à fait normalement en Italie ou ailleurs, sans se rendre compte qu’elles sont contaminantes. On ne sait pas très bien quelle est la part de ces patients quasi asymptomatiques dans la transmission du virus.
« En moyenne, chaque personne infectée contamine deux autres individus »
Qu’entendez-vous par infection bénigne ?
Je parle ici d’un nombre relativement important de personnes qui, bien qu’elles soient atteintes par le virus, ne développent que des symptômes légers qui ne les empêchent pas de vaquer à leurs occupations habituelles : légère fièvre, mal de gorge… En Belgique, on a une expression pour cela : « se sentir un peu patraque ». En un sens, c’est évidemment une bonne nouvelle que des tas de gens résistent ainsi au virus mais, d’un autre côté, on s’interroge encore sur la charge infectieuse de ceux-là : à quel point sont-ils contaminants ? On a ainsi des cas documentés de personnes qui en ont contaminé beaucoup d’autres. A Singapour, par exemple, un conférencier a été un vecteur important de la maladie.
Toute personne infectée est-elle une bombe virale ?
Heureusement non. Certains individus sont beaucoup moins contaminants que d’autres. Cette variabilité ressort de données chinoises qui font l’objet d’un consensus assez large au sein de la communauté scientifique. Elles nous indiquent que le taux de reproduction net de la maladie est de deux, ce qui veut dire qu’en moyenne, chaque personne infectée contamine deux autres personnes. Cependant, on arrive à cette moyenne de deux alors que certaines malades contaminent dix ou quinze autres individus. Autrement dit, certains patients se sont avérés peu ou pas contagieux. La variabilité de l’infectiosité des malades avait
déjà été observée lors de l’épidémie de SRAS, en 2003.
« Entre 0,1 % et 1 % de personnes touchées par le coronavirus en meurent. C’est plus que pour la grippe »
Variabilité dans la transmission, mais aussi dans la résistance au virus ?
De fait, le groupe le plus important est constitué des personnes dont le système immunitaire l’emporte, ce qui leur permet d’éliminer toute charge virale en quelque deux semaines. Mais environ 20 % des patients développent des symptômes de type « pneumonie », qui nécessiteront des traitements adéquats lors d’une hospitalisation. Dans ce second groupe, constitué de personnes souvent âgées qui se sont rendues à l’hôpital, on estime la mortalité à 1 % ou 2 %.
D’une manière plus globale, quel est le taux de mortalité des personnes infectées ?
Selon les estimations, entre 0,1 % et 1 % de personnes touchées par le coronavirus en meurent. C’est plus que pour la grippe. Maintenant, la communication de ces chiffres appelle des nuances : encore une fois, le taux de mortalité fluctue très fort selon les différentes classes d’âge. Le coronavirus, tout comme le virus de la grippe, est surtout meurtrier pour les personnes plus âgées. Les personnes diabétiques, les fumeurs aussi, sont plus à risques.
Beaucoup de personnes vont et viennent d’Italie. Cela veut-il dire que le virus va inévitablement se répandre en Belgique ?
Tous les pays prudents doivent se préparer à l’arrivée de personnes contaminées sur leur territoire. Mais avec l’Italie, on comprend évidemment que cela élargit les possibilités de « transport » pour le virus en Europe. Il n’y a pas que l’avion, il y a aussi le train, la voiture… Cela dit, ce qui se passe en Italie n’est pas encore de l’ordre de la catastrophe et, à ce stade, des mesures préventives du type interdiction d’événements publics ne se justifient pas encore en Belgique. De même, on ne va pas contrôler toute personne venant d’Italie, faire des barrages routiers ou des choses de ce genre. Comme l’ont démontré des modélisations, on ne détecterait que 30 % à 40 % des cas. Surtout, ce serait contre-productif dans la mesure où une telle politique alimenterait une forme de psychose collective, un climat de peur. Par contre, chacun peut déjà prendre des mesures individuelles toutes simples, comme se laver les mains plusieurs fois par jour. C’est d’ailleurs aussi un excellent moyen pour se protéger de la grippe saisonnière.
« Il importe aussi d’envisager le scénario d’une épidémie de grande ampleur »
D’un scientifique à l’autre, les tonalités du discours peuvent être bien différentes…
C’est vrai que certains se veulent par trop rassurants et que d’autres semblent considérer que la présence d’une certaine dose de peur dans la population peut contribuer à la vigilance collective. En ce qui me concerne, je suis partagé. Je n’ai pas envie de crier au loup mais, en même temps, je n’ai pas envie de dire « Dormez, braves gens ».
Dès lors, la vigilance minimale pour la Belgique, vous la définiriez comment ?
Cela commence par une bonne information au niveau du grand public et des médecins sur ce qu’est le coronavirus, ses symptômes, la réaction à adopter en cas d’apparition de ceux-ci. C’est d’ailleurs ce qui est fait actuellement (NDLR : voir le site www.info-coronavirus.be). Ceci est de nature à renforcer le deuxième axe de cette stratégie, à savoir une détection rapide des cas afin d’identifier aussi vite que possible les chaînes de transmission et d’isoler les personnes pour empêcher les contaminations.
Mais ce qui se passe en Italie…
Cela nous montre que la situation n’est pas figée. Qu’il importe d’envisager le scénario d’une épidémie de grande ampleur, qui pourrait aussi toucher la Belgique. A la lumière de ce que nous constatons, ce serait déraisonnable de ne pas le faire. Cela implique une adaptation du plan pandémie, notamment pour bien répartir les patients dans les différentes structures hospitalières. Dans le même temps, cette anticipation, cette prudence, ne signifie pas qu’il faudrait se livrer à des projections catastrophistes pour alimenter un climat de terreur.
Que pensez-vous par exemple des prévisions de ce professeur d’université de Hong Kong, qui annonce que deux tiers de la population mondiale pourrait être touchée par le coronavirus ?
Les prévisions à plus de deux mois me semblent hasardeuses. Et certainement sont-elles aussi contestables alors que, dans des zones qui ont été fortement touchées, on constate un recul des contaminations. Dans la province de Hubei qui est l’épicentre de l’épidémie, le coronavirus est en train de reculer. Le bilan chiffré est de 60 000 cas pour une population de 50 millions d’habitants. Si on en reste là, 1 personne sur 1 000 aura été infectée dans cette province. On est très loin des 60 % ! Pour avoir une idée de ce qui pourrait se passer en cas d’épidémie en Europe, nous devons avoir un regard attentif sur la Corée du Sud, qui connaît plusieurs centaines de cas. Ce pays dispose d’un système médical et hospitalier comparable au nôtre et pratique une politique de « containment » qui ressemble à celle qui serait pratiquée ici : information de la population, suppression des grands rassemblements publics, détection rapide des cas pour limiter la propagation du virus, avec un suivi des contacts pour voir qui a contaminé qui.
Mais si ces mesures n’étaient pas suffisantes ?
Le niveau suivant serait de demander aux gens de rester chez eux. On peut envisager des fermetures d’école, de lieux publics, voire d’entreprises pour diminuer au maximum le taux de contacts entre les gens. D’ailleurs, c’est ce qu’ils commencent à faire en Italie en ce moment. En l’occurrence, ils appliquent au maximum le principe de précaution et je pense qu’ils ont raison. L’idée est d’arrêter la propagation du virus suffisamment tôt et suffisamment fortement pour éviter une saturation du système hospitalier.
Covid-19 ne va donc pas tous nous tuer ?
Non, certainement pas. Mais en même temps, il ne faut pas le banaliser. Disons-le encore, sur la base des données actuelles, c’est un virus plus dangereux que celui de la grippe saisonnière.
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